Baptême onirique

La voie de Mésoditès

Chroniques du prince Lothar

Livre X – Chapitre 3

Le purgatoire

 

Vint le moment où les dragons cessèrent de me rêver. C’était suite à un combat pour défendre  un Nécromancien qui était sur le point de se faire lyncher par des gens de sac et de corde emprisonnés comme nous dans les tréfonds de Thanis. J’ai beaucoup hésité à venir en aide à un disciple de la voie obscure mais l’aide que cet homme pouvait nous apporter pour sortir de Thanis et l’insistance de Logart (plus fasciné qu’il ne le pense par cette voie interdite) ont fini par me convaincre du bien fondé de notre combat. Celui-ci fut périlleux mais les dragons sont toujours du côté du juste et leur aide nous permit de vaincre. Pour ma part, n’hésitant jamais à m’exposer à mille dangers, je fus grièvement atteint à la poitrine d’un coup de sabre courbe. Nadir El Bagnad, un être suspect dont j’appris plus tard qu’il n’était pas très humain, proposa ses services pour me soigner. Mais sa malice fut vite dévoilée lorsqu’il aggrava ma blessure au lieu de la refermer. Mes dernières pensées furent à mon royaume qui attend toujours mon retour pour être libéré d’un autre infâme Thanatocien.

De nombreuses légendes courent sur l’après vie mais la philosophie dominante tend à privilégier la réincarnation dans un autre soi. Pour ma part, je sentais mon âme s’élever, quitter la nécropole de Thanis et les déserts ardents du grand Patoum pour se fondre dans les nuages et m’approcher d’une sorte de vaste verrière derrière laquelle luisaient dans une obscurité profonde d’étranges étoiles multicolores. Puis je ressentis un appel me faisant redescendre et je m’évanouis. J’appris par la suite que le Nécromancien venait de pratiquer un rituel impie – et raté – pour me faire revenir à la vie, rituel qui transforma ma dépouille inerte en zombie

Je me réveillais pourtant en chair et en os dans un bien étrange royaume. Je temps y était comme figé (le soleil bougeait dans le ciel ou disparaissait en fonction du lieu où l’on se trouvait ce qui donnait au moins une vague indication de direction) et je ne connaissais pas la faim (quoique je fis bon accueil aux quelques fruits qui me parurent comestibles). Ce rêve était presque désert et ma première rencontre fut un cavalier portant une missive urgente à la cité venin. Il put juste m’apprendre qu’on se trouvait dans le royaume médian et qu’il suffisait de suivre ses traces pour arriver à la cité des alchimistes.

Ce ne fut pas très simple car en l’absence de route, je du m’égarer quelque peu. Le pays était parfois magnifique avec des paysages insolites comme ces déserts de rochers flottants mais souvent dangereux car peuplé que quelques monstres ectoplasmiques qui heureusement se contentaient de m’étourdir de quelques baffes avant de déguerpir sans demander leur reste. La plus impressionnant créature était ce serpent géant hantant les rivières qui m’arracha un bras alors que je me baignais dans un lac. Les dragons étaient généreux et effacèrent cette blessure pendant ma période d’inconscience.

Après moult périls, j’arrivais enfin à Venin, cité des alchimistes. Une ville très austère où règne une atmosphère étouffante faite de fumée et vapeurs aussi néfastes que nauséabondes. Car tout le monde où presque y pratique l’alchimie. On y mange et y boit des aliments synthétiques : quelle hérésie ! Leur chef – le Grand Alchimiste – dispose d’une pierre philosophale transformant le plomb en or. Il dispose de tous les pouvoirs et du droit de vie (sur les citoyennes attirantes) et de mort (sur les citoyens déplaisants) dont il ne se privait pas. Cette situation génère beaucoup d’envieux et le grand alchimiste finit généralement par être victime d’une indigestion malgré sa mithridatisation préventive. On m’a proposé de devenir goûteur mais très peu pour moi. Je décidais de reprendre mon chemin vers Rimarde, la cité des poètes .

C’est en chemin que je devais rencontrer, pour mon plus grand réconfort, Mérildan et Morgandilas …


Gnose hippique des Justes Textes

par le sieur Mérildan, intendant des écuries royales

Chapitre 16

L’élixir de haut-péril

 

Le banquet est chose licite lorsqu’il est mérité. Et quel plus grand mérite que d’avoir libéré le Rêve en chassant l’ombre induite par l’arc-en-ciel colorophage de Lucresnes (en sauvant au passage nos humbles existences d’une décoloration fatale). Une grande fête s'imposait donc! Les (ex) sans-couleurs étant désormais nos amis, la jeune reine Colombelle entrepris les préparatifs.

De mon côté je voulus organiser une course de chevaux mais ni les montures ni les cavaliers n’étaient rompus à ce genre d’exercice. Dommage !

Enfin les tours de jonglerie des sans-couleurs et les déclamations de notre noble barde furent très appréciées. Lorsqu’on chercha un volontaire pour servir de cible au lancer de couteaux en aveugle, Athalef d’abord pressenti mais hélas indisponible fut remplacé par ton fils (ou neveu ?) Athabeïs qui fit brave figure. Il fallut toutefois réconforter Athalef qui s’était évanoui en voyant les risques encourus par un être proche…

La reine fit un discours sobre et sincère et nous offrit quelques présents. Les haut-rêvants reçurent quelques parchemins sauvés du naufrage de la bibliothèque de château Lucresnes. Athalef récupéra une malle contenant milles et une merveilles vestimentaires. Pour ma part je reçus une selle ouvragée qui ferait bonne figure sur le cheval qu’on m’avait prêté. Morgandilas enfin vit son équipement complété par un sac de plume qui lui permettra d’en réduire l’encombrement par quelque concours magique que je ne saisis guère.

Morgandilas fit alors le point sur ses années de voyages dans la compagnie des rêve depuis sa fondation avec Logart jusqu’à nos jours. Il conclut par le fait qu’il se sentait entouré par trop de haut-rêvants pour ne pas vouloir lui-même apprendre cet art étrange et périlleux. Il révéla alors qu’il avait acquis auprès de deux sorcières du marché aux rêves une potion nommée élixir de haut-rêve qui lui permettrait d’attendre ce but. Et sans plus attendre, il but cette fiole non sans quelques grimaces laissant deviner son arôme subtil.

Je m’attendais à ce qu’il devienne luminescent ou qu’il se transforme en érudit rébarbatif logartien mais rien ne se passa. Logart expliqua que l’art du haut rêve exigeait un long apprentissage, qu’il fallait être patient de commencer par étudier quelques anciens grimoires.

Déçu, Morgandilas décida d’au moins bien profiter de la fête qui se poursuivait. Mais peut-être avait-il abusé de vin car il se leva et parti prendre l’air près du lac. Je le suivis pour le réconforter si besoin était et bien m’en pris car je le vis bientôt chanceler et tomber dans les eaux. J’accourus et dû plonger pour le ramener à la surface.

Une grande lueur nous accueillit. Mais où étaient passées les montagnes des crins de neige et la quiétude de la nuit ? Nous étions en plein jour, flottant dans un lac traversé d’une rivière dont le courant nous entraîner. Encore un caprice des dragons !

Morgandilas était à peine conscient, aussi essayais-je de nager avec lui jusqu’à la rive. C’est alors que je remarquais un mouvement suspect de ce que je pris d’abord pour un tronc à la dérive mais qui se révéla être un gigantesque serpent. Redoublant d’efforts et profitant du courant qui nous faisait déjà quitter le lac, je parvenais à me rapprocher de la rive mais le monstre facétieux me barra la route de la délivrance. C’est alors qu’un pont providentiel se présenta en travers de la rivière. Qui plus est un voyageur compatissant nous jeta une corde que nous utilisions à bon escient juste au moment où le monstre s’intéressait aux jambes de Morgandilas n’y gobant heureusement qu’une botte.

Ce voyageur à qui nous devions la vie se révéla être notre vieil ami (et actuel zombi) le prince Lothar …



Méditations de Vandermik le Juste,

Sage du 20ème cercle, sanctuaire mauve

 

Le sanctuaire mauve constitue un environnement idéal pour la médiation. Ses colonnes de marbre mauve ont pour propriété, comme chacun le sait, de s’élever lorsqu’elles supportent un sage en harmonie avec le rêve. Et il n’est pas vain de dire que les sages des cercles supérieurs vivent la tête dans les nuages…

Tout sage apprenti aura vite fait d’escalader une petite colonne et de s’élever ainsi au 1er cercle de sagesse. Rien de plus simple.

La méditation ensuite l’aidera à gravir les échelons du dur chemin de la connaissance de soi. Il faut prendre garde à éviter toute distraction. Ainsi dans mes jeunes années, je perdis trois cercles lorsque mon regard distrait se fixa inopinément sur la gorge profonde d’une envoûtante voyageuse venue visiter le sanctuaire. Que de temps perdu pour regagner la sérénité du sage authentique !

La véritable élévation vient des révélations qui ouvrent notre esprit au chemin doré conçu par les dragons et nous font entrevoir quelques uns de leurs desseins. En cela les colonnes du sanctuaire nous sont d’un grand secours car elles s’élèvent lorsqu’on se rapproche de la vérité et s’affaissent lorsque notre esprit nous entraîne sur des chemins tortueux.

Les visiteurs sont une dangereuse distraction comme je l’ai déjà dit et généralement ils n’ont aucun désir de rechercher la sagesse, imbus qu’ils sont de cette parcelle de vérité dont ils se contentent pour accomplir leurs basses besognes.

Un jour cependant, je rencontrais un groupe de voyageurs paraissant désorientés qui, sur mon injonction, se prêtèrent à l’épreuve de la sagesse. Je m’attendais à ce qu’ils fassent  à peine frémir leur colonne avant qu’elle ne s’enfonce irrémédiablement pour regagner le plancher des vaches. Mais au contraire les colonnes s’élevèrent de quelques cercles.

Ces voyageurs entrevoyaient les dessins des dragons d’une manière tout à fait originale. Ils parlaient de ressemblance de notre royaume médian avec ce qu’ils appelaient « terres médianes », de voyageurs « haut-rêvants » (des sages rêvant sur leurs colonnes?) et de bizarreries logartiennes (sans doute une philosophie étrangère).

Peut-être auraient-ils pu atteindre un cercle de sagesse comparable au mien si un tourbillon blanc n’était venu troubler le sanctuaire. Dans un surcroît de lucidité, je m’élevais suffisamment pour éviter cette menace et contempler la puissance dévastatrice des vents qui emportèrent les voyageurs vers d’autres horizons.

J’ai longuement réfléchi à cette rencontre et j’ai découvert le secret de ces voyageurs : la contemplation des bizarreries externes (les voyageurs pensant à l’étrangeté logartienne, tout comme moi observant ces voyageurs)  nous fait réaliser combien supérieure est la sérénité du sage par rapport à l’agitation hystérique du commun des êtres rêvés !


Chronique de Septune le Grand

Maître de Scolomance, terreurs des mortels, cauchemar des dragons

 

Malgré notre maîtrise poussée du haut-rêve, cet art nous réserve parfois des surprises. L’année dernière, alors que je cherchais à esquiver habilement et discrètement une troupe zodiste effarouchés par un effet secondaire de mon art, le besoin d’un petit brouillard onirique se fit sentir. Je montais donc dans les terres médianes pour me diriger vers le gouffre où j’avais placé en réserve un sortilège propre à aveugler les dragons eux-mêmes. D’habitude c’est chose routinière, la seule surprise pouvant m’affecter étant un tourbillon noir. C’est alors que je fis une étrange découverte. Un énergumène examinait mon sort en réserve et par une curieuse imposition des mains, le fit disparaître. Il n’y a rien de plus énervant que de se faire voler son bien lorsqu’on en a un besoin crucial. Je le fis bien comprendre à ce pitoyable affabulateur qui se sauva la queue entre les jambes. Je n’avais pas le temps de le poursuivre car l’appel des basses terres était impératif, mais il ne perdait rien pour attendre. Les zodistes me pourrirent la vie pendant deux jours mais je finis par m’en débarrasser. Une fois tranquille, ma première préoccupation fut de payer mes dettes. C’est sans difficulté que je suivais ses traces grossières jusqu’à la cité de Noape. Un détour par la nécropole voisine pour y chercher des alliés et me voici prêt pour le massacre.


Chroniques de Maître Boulfroy

Directeur du conservatoire de musique Noape

 

Les étrangers viennent souvent troubler la  quiétude de notre conservatoire mais d’habitude ils ne s’attardent pas. De basses considérations matérielles les amènent à s’affairer comme diable pour essaimer de curieux halos lumineux auquel ils nous interdisent de toucher car réservés à leur usage personnel ou nous ordonnent de venir exécuter pour eux un spectacle dont il ne savent goûter les subtilités. Un jour cependant vint un groupe de voyageurs qui pris le temps d’apprécier nos concerts et de s’intéresser à notre quotidien. Ils s’appelaient messires Morgandilas, Lothar et Merildan. Ils venaient d’une lointaine contrée appelée Lucresnes et semblaient perdus. Ce fut un plaisir de les renseigner sur nos us et coutumes même si leur présence devait nous apporter quelques ennuis par la suite.

Nos tracas furent le fait d’un certain Septune qui vint troubler notre cité et qui voulu appréhender nos hôtes. Sa première apparition se fit en compagnie d’une poignée de squelettes qu’il pensait être à même de nous impressionner. C’est bien mal nous connaître ! Nous vivons à côté d’une nécropole passablement agitée où ce genre d’apparition est monnaie courante. Heureusement nous avons développé notre art pour faire face à la menace. Notre formation de violons grinçants produit une harmonique qui, lorsqu’elle s’accorde à la fréquence onirique des morts-vivants, les réduit en poussière. L’orchestre est composé de sept membres et nous veillons à ce trois d’entre eux restent en permanence dans la cité alors que les autres peuvent être amenés à effectuer des tournées dans les cités voisines.

Septime privé de ses sbires se retira en nous menaçant de revenir se venger. Je le prenais pour un imbécile prétentieux mais il tint sa promesse et  ramena toute une armée de squelettes. Il tenta d’intimider les autorités de Noape pour obtenir qu’on lui livre nos hôtes mais le prince du Haut Langage (appelé ainsi car nos nobles ne parlent qu’en vers) lui répondit en ces termes :

« Quelles vilaines paroles messires

A cela l’honneur m’impose de vous dire

Que nos oreilles ne sauraient souffrir

Le venin que votre gueule veut offrir

Et je vous conseille de promptement déguerpir

Ou de notre juste courroux allez pâtir ! »

Septime s’énerva et nous imposa un ultimatum de trois jours pour revoir notre position. Cela ne nous touchait guère car bien que reduite à trois membre, notre nécro-harmonie étaient capable de repousser tout attaque.

Mais les choses se gâtèrent. Le 1er jour, maître Schnaps, 1er violon fit une chute malheureuse dans un escalier et se brisa le bras droit, blessure incapacitante pour son art. Le 2nd jour, la demeure de Maître Valmer prit feu et celui-ci disparut dans l’incendie. Il ne nous restait plus que le jeune Gawynn, apprenti violoniste émérite qui venait de réussir son habilitation nécro-harmonique. Morgandilas et son équipe, qui avaient tenté de protéger Valmer mais étaient arrivés trop tard soupçonnaient fortement une implication de Septime dans ces deux incidents. Ils décidèrent de ne plus quitter Gawynn et de tendre un piège à l’infâme thanatocien. Pour les aider, nous offrîmes à Morgandilas quelques unes des plus belles fleurs de rêve de la cité.

Septime vint comme prévu et essaya de pousser Gawynn du balcon où il s’entraînait au violon. Morgandilas s’interposa et débuta un combat dantesque fait de coups de poing fantomatiques et d’échanges de décharges énergétiques. Morgandilas pris le dessus et Septime s’évanouit proférant quelques dernières menaces.

Pour fêter cette victoire, Morgandilas nous demanda un concert. Partir en tournée à l’improviste est parfois irritant mais à ce moment rien ne pouvait plus nous réjouir. Nous quittions donc le royaume médian pour descendre dans cette vallée appelée Lucresnes où notre concert fut accueilli avec bonheur par un peuple festif réjoui de revoir Morgandilas et Mérildan. Lothar devait encore rester quelque temps l’hôte de Noape, mais ceci est une autre histoire …


Chroniques de Morgandilas

Retrouvailles avec Logart.

 

Mon cher Logart, je ne vois vraiment pas pourquoi tu t’inquiétais. Ca remonte à si longtemps que ça ta première montée en terres médianes ? Un peu étrange comme contrée mais je m’y suis fait de nouveaux amis. Il est vrai que j’aurais pu profiter de quelques conseils d’initié mais comme tu n’étais pas disponible je me suis débrouillé seul comme d’habitude.

Ah au fait, j’ai croisé Lothar. Il se morfond là haut et compte sur toi pour le récupérer. Alors où en sont tes études sur la recette du grand réveil ?